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Quand le pouvoir traite ses opposants de “psychopathes politiques” : anatomie d’un délire institutionnel

Par l’équipe éditoriale de Voix Plurielles

Yaoundé, octobre 2025.
Le ministre d’État Jacques Fame Ndongo, figure tutélaire du régime et chantre de la “pensée biyaïste”, vient de signer une tribune au titre pour le moins déroutant :

“Président auto-proclamé et président élu : le nouveau statut imaginaire des psychopathes politiques.”

Un texte fleuve, truffé de références pseudo-savantes, qui érige la fidélité au pouvoir en norme psychologique et qualifie la dissidence de pathologie mentale. Derrière les tournures amphigouriques et la prose académique, se dessine une dérive inquiétante : la psychiatrisation du désaccord politique.


1. La folie comme arme politique

Qualifier ses adversaires de “psychopathes” n’est pas un simple excès verbal.
C’est une stratégie de déshumanisation rhétorique : faire passer la divergence d’opinion pour un symptôme, la critique pour un trouble mental.
Ce procédé, familier des régimes autoritaires, permet de déplacer le débat du terrain des idées à celui de la santé mentale — et donc, de délégitimer toute opposition. Fame Ndongo ne parle pas ici en simple intellectuel : il parle au nom de l’État, et transforme la parole publique en espace psychiatrique.
Il ne répond pas à des arguments : il prescrit un diagnostic.


2. Quand l’État devient psychanalyste de la Nation

Ce n’est pas la première fois que le régime camerounais use de ce langage. Depuis plusieurs années, la rhétorique officielle oscille entre infantilisation (“les Camerounais doivent comprendre…”) et médicalisation de la dissidence (“ils sont malades du pouvoir, ils délirent de révolution”). Mais dans le contexte post-électoral de 2025, cette sortie revêt une dimension nouvelle : elle marque la normalisation du mépris institutionnalisé. En parlant de “psychopathes politiques”, le ministre ancre dans l’imaginaire collectif une idée redoutable : le pouvoir est sain, l’opposition est malade. C’est une inversion totale des valeurs démocratiques.


3. Le vernis académique du mépris

L’ironie tragique est que Jacques Fame Ndongo se réclame du monde universitaire, celui de la pensée critique et du débat d’idées. Mais il trahit cet héritage en transformant le savoir en instrument de disqualification. Sous sa plume, la rhétorique savante devient une armure de mépris, une justification pseudo-intellectuelle de la violence symbolique. En qualifiant les opposants de “fantasmes” ou de “présidents imaginaires”, il rejette tout questionnement sur la transparence électorale. Le lexique psychiatrique remplace le dialogue politique ; la stigmatisation remplace la réflexion.


4. Ce que révèle ce langage

Ce texte n’est pas anodin. Il est symptomatique d’un système politique vieillissant, obsédé par sa propre survie. Quand un régime en vient à traiter les désaccords comme des pathologies, c’est qu’il n’a plus d’arguments politiques, seulement des réflexes de défense. Fame Ndongo incarne cette posture du pouvoir qui refuse le miroir. Sa tribune ne parle pas des “psychopathes politiques” — elle parle de la peur du régime face à la lucidité du peuple.


5. La réponse des consciences libres

Face à cette dérive, les intellectuels camerounais, les journalistes, les enseignants et les artistes ont un devoir : résister à la langue du pouvoir. Nommer les choses, c’est déjà les combattre. L’histoire retiendra moins les insultes du ministre que le courage de ceux qui auront continué à penser, à parler, à écrire. Le Cameroun a besoin d’une parole qui soigne, non d’une parole qui stigmatise. Et dans cette époque de confusion, chaque mot compte.


Voix-Plurielles.com – Octobre 2025
“Nous écrivons pour que les mots ne deviennent pas des armes contre les vivants.”

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