Depuis le décès du leader politique Georges Anicet Ekane, les réactions officielles des autorités camerounaises ont suscité indignation, inquiétude et consternation bien au-delà des frontières nationales. Les déclarations publiques du Ministre de l’Administration Territoriale, tournant en dérision la mort de l’opposant et tentant d’effacer son héritage politique, ont choqué autant par leur violence verbale que par leur signification politique.
Selon le ministre, Ekane « n’était ni un héros ni un martyr », ajoutant qu’il l’avait « prévenu », comme si la mort en détention était l’exécution d’une menace déjà formulée. Quelques jours auparavant, le même responsable affirmait publiquement qu’Ekane pouvait « mourir et laisser les gens en paix » et qu’il se chargerait « d’acheter son cercueil ».
Ces propos interviennent alors que des documents établissent que l’opposant est décédé après la confiscation de son extracteur d’oxygène, indispensable à sa survie.
Ces faits ne relèvent ni de la maladresse, ni de l’excès verbal. Ils s’inscrivent dans une logique politique précise : la criminalisation de la dissidence, l’humiliation post-mortem et l’usage de la parole d’État comme instrument de domination.
Ils font également écho à d’autres évènements récents : répression de la grève des transporteurs, destruction de dizaines de camions, interdiction de meetings politiques, et déploiement systématique des forces de sécurité pour entraver l’opposition.
Pris ensemble, ces signaux dessinent un tableau préoccupant : la démocratie camerounaise se délite, remplacée progressivement par un régime d’intimidation.
Qu’est-ce qu’un martyr ? Une réponse pour ceux qui redéfinissent l’Histoire.
Certains s’obstinent à nier qu’Anicet Ekane puisse être considéré comme un martyr. Pourtant, l’histoire humaine — politique, spirituelle, philosophique — donne une définition claire :
Un martyr est celui qui souffre ou meurt parce qu’il refuse de renoncer à sa conviction.
Un martyr n’a pas besoin d’être reconnu par l’État.
Un martyr n’est pas proclamé par décret.
Un martyr devient tel lorsque son sacrifice révèle la violence de ceux qui cherchaient à le réduire au silence.
Ainsi :
- Jésus n’a pas été crucifié pour être honoré, mais pour être réduit au silence.
- Martin Luther King a été surveillé et menacé avant d’être assassiné.
- Mandela a passé 27 ans en prison avant d’être célébré par ceux qui le combattaient.
Les régimes autoritaires ne reconnaissent pas les martyrs — ils les créent par la persécution.
Analyse politico-psychologique : quand un ministre parle, l’État se dévoile
Les déclarations du ministre ne sont pas un simple écart. Elles révèlent trois éléments essentiels :
Une peur profonde de la mémoire.
Les pouvoirs légitimes n’ont pas peur des morts. Seuls les régimes fragiles les combattent encore.
Une personnalisation toxique du pouvoir.
Dire « je lui achèterai un cercueil » n’est pas le langage d’un serviteur de la République, mais celui d’un homme qui confond l’État avec son autorité personnelle.
Une tentative de contrôle narratif.
Dénigrer le mort, ridiculiser sa cause, et détourner la responsabilité institutionnelle, tout en invoquant la religion, relève d’un schéma rhétorique classique des systèmes autoritaires.
Lorsque des responsables d’État se permettent de commenter la mort d’un citoyen — surtout d’un opposant politique — avec cynisme et indécence, ils n’attaquent pas seulement un homme :
ils sapent la crédibilité des institutions qu’ils représentent.
Conséquences internationales : ce que le monde retient
Auprès des partenaires internationaux, des observateurs électoraux, des investisseurs et des organisations de défense des droits humains, ces propos et ces évènements envoient un message clair :
Le Cameroun n’est pas aujourd’hui engagé sur la voie d’un scrutin libre, pluraliste et équitable.
Une démocratie se mesure:
- à la garantie des libertés publiques,
- au respct des opposants,
- à l’indépendance de la justice,
- et à la dignité accordée même à ceux qui contestent le pouvoir.
Sous ces critères, la situation actuelle soulève de sérieuses inquiétudes.
L’Histoire a une longue mémoire
Les pouvoirs qui répriment la dissidence et se moquent de ses martyrs pensent contrôler la narration. Mais l’histoire se charge toujours de rétablir les proportions.
Les bourreaux ne sont jamais les héros des livres d’histoire.
Les humiliateurs ne survivent jamais au regard du temps.
Et ceux que l’on a tenté d’étouffer deviennent souvent la voix des générations suivantes.
Aujourd’hui, la mort d’Anicet Ekane pose une question essentielle que le Cameroun — et le monde — ne peuvent éviter :
Le Cameroun veut-il être une démocratie administrée par la loi — ou par la peur ?
Ce qui est en jeu dépasse un homme.
Il s’agit de l’avenir politique, moral et institutionnel d’un pays.
Et qu’on le nie ou non, une réalité demeure :
Anicet Ekane n’a pas été réduit au silence —
sa mort a amplifié sa voix.


