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Quand la privation devient méthode de gouvernement

Lecture machiavélienne de la scène socio-politique camerounaise

« Il est beaucoup plus sûr d’être craint qu’aimé. » — Machiavel, Le Prince
« La faim est une laisse plus solide que la loi. » — adage contemporain de la politique de la dépendance

1) La thèse

Dans de nombreux régimes autoritaires, la pauvreté n’est pas qu’un accident de parcours : elle devient outil de pouvoir. En maintenant une partie de la population dans l’urgence du quotidien, le régime réduit l’horizon de pensée (futur, projet, indépendance), abaisse le coût de la loyauté (cadeaux, faveurs, postes) et renforce la peur (sanctions, privations ciblées).
Cette logique est souvent décrite par les sciences politiques comme néo-patrimoniale : l’État se confond avec le réseau du chef, la règle avec la faveur, la citoyenneté avec l’allégeance.

Une lecture (vraiment) machiavélienne ?

Machiavel n’a pas écrit qu’il fallait affamer le peuple ; il a toutefois théorisé que le prince utilise la peur, la ruse et la division pour protéger son trône lorsque les institutions sont faibles. Les régimes modernes ont poussé cette intuition vers une économie politique de la dépendance : faire de l’accès au minimum vital un levier de contrôle.


2) Cameroun : les ressorts d’une dépendance organisée

a) La distribution sélective de la pénurie

b) Mise en scène de l’allégeance des autorités morales et traditionnelles

Les défilés au palais de personnalités religieuses et de chefs coutumiers (évêques, sultans, lamidos, fons, fo, notables) jouent un rôle performatif :

c) Diviser pour régner

d) Effets sociaux recherchés (et obtenus)


3) Efficacité et coûts d’une telle doctrine

Gains à court terme pour le régime

Coûts lourds pour la société (et pour l’État à long terme)


4) Comparaisons internationales (pour situer le Cameroun)

Points communs : dépendance aux rentes, cooptation religieuse/traditionnelle, justice sélective.
Différences : nature des rentes (pétrole/minières vs. budgets/impôts), intensité de la répression, autonomie relative des Églises/chefferies.


5) Culture, Église, chefferies : entre gardiens et otages

Au Cameroun, ces institutions sont ambivalentes : elles peuvent protéger le tissu social, arbitrer des conflits, sauvegarder la mémoire… mais deviennent otages quand leur financement dépend du politique.


6) Que faire ? (feuille de route réaliste)

A. Rétrécir l’espace de la faveur

B. Protéger l’autonomie sociale

C. Réinvestir la mémoire et la culture

D. Diaspora : contourner les goulots d’étranglement

E. Politique électorale, mais pas seulement


7) Verdict : efficacité redoutable, horizon fermé

La « doctrine » que nous évoquons fonctionne pour stabiliser un pouvoir. Mais elle assèche la nation : elle produit de la paix silencieuse, pas de la paix solide. Là où l’on remplace les droits par les aumônes, la loyauté par la peur et l’histoire par l’oubli, le futur se ratatine.

La sortie n’est pas mystique ; elle est institutionnelle et sociale :

« On gouverne par les symboles autant que par les lois ; mais sans lois justes, les symboles deviennent des chaînes. »

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