Paroles, silence et menaces : le système Biya mis à nu par son propre ministre
Édito | Voix-Plurielles — Le 10 octobre 2025, à deux jours d’un scrutin présidentiel déjà controversé, le ministre Atanga Nji a brisé l’illusion d’un processus démocratique neutre. Entre menaces publiques, manipulations administratives et silences inquiétants, cette présidentielle s’annonce comme un théâtre bien rodé dont les résultats semblent connus d’avance.
Un ministre qui dit trop — ou trop vrai ?
Le 10 octobre 2025, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, déclare publiquement :
« Il y a un candidat qui a dit qu’il va terminer la campagne dans sa région d’origine parce qu’il compte se cacher dans sa maison et déclarer qu’il a gagné les élections. Je tiens à lui rappeler que l’administration ira le pêcher chez lui s’il tente. La récréation se termine avec la campagne à partir du 12 octobre, et le soir, plus de tolérance pour la récréation. »
Une phrase-choc. Mais surtout une phrase révélatrice : elle sonne comme une menace préventive, un aveu d’intimidation, voire un signe de panique au sommet d’un système politique qui n’a plus rien à proposer d’autre que la coercition.
Ce que révèle cette sortie verbale
- Une élection vidée de son sens
- Le ministre anticipe une réaction d’un candidat contestataire, qu’il accuse implicitement de vouloir rejeter les résultats à venir.
- Mais comment peut-il savoir à l’avance ce que dira ce candidat, si le scrutin n’a pas encore eu lieu ?
- Cela implique une chose : les résultats sont déjà connus dans les cercles du pouvoir.
- Une démocratie sous surveillance
- Dire qu’un candidat sera « pêché chez lui » s’il déclare une victoire, c’est criminaliser l’opinion.
- Le droit de contester les résultats est pourtant un acte politique normal en démocratie, qui peut se faire via des canaux institutionnels (Conseil constitutionnel, manifestations, médias).
- Une culture d’impunité en marche
- Les précédentes déclarations du ministre concernant Maurice Kamto avaient déjà semé le doute sur l’impartialité du processus.
- Peu après, sa candidature a été invalidée. Et là encore, aucune procédure transparente n’a permis d’écarter les soupçons d’intervention politique.
- Une manipulation administrative assumée
- Sur le site du MINAT, un changement de leadership au sein du Manidem est apparu, sans respect des procédures internes du parti.
- Yebga, figure controversée, a avoué ce changement illégal. Le ministre, informé comme le reste des camerounais, est resté silencieux. Ce mutisme sonne comme un aveu de complicité ou, au minimum, de tolérance active.
Les conséquences immédiates de cette logique autoritaire
1. Perte totale de crédibilité du processus électoral
- Les électeurs n’ont plus confiance.
- La participation risque d’être faible ou de se transformer en vote de colère dans certaines zones.
2. Verrouillage de l’espace politique
- L’intimidation d’un candidat avant même qu’il ne conteste signifie que toute divergence d’opinion sera réprimée d’avance.
- Cela crée un climat de peur, réduit les libertés fondamentales, et empêche toute dynamique de renouvellement politique.
3. Délégitimation du Conseil constitutionnel
- Si les résultats sont déjà « connus », alors l’arbitrage légal est vidé de sa substance.
- Le Conseil constitutionnel devient une chambre d’enregistrement, non un gardien impartial de la vérité électorale.
Et à long terme ?
1. Érosion du contrat social
- Quand l’électeur ne croit plus en sa voix, il se retire du jeu démocratique.
- Cela ouvre la voie à l’extrémisme, la radicalisation ou la résignation.
- Le pouvoir perd peu à peu sa légitimité populaire, même s’il conserve les apparences institutionnelles.
2. Silence complice de la communauté internationale
- L’absence de condamnation ferme des faux observateurs en 2018.
- Le mutisme face à l’exclusion de candidats crédibles en 2025.
- Ce laxisme affaiblit la pression diplomatique, et renforce la conviction d’impunité du régime.
3. Normalisation de la manipulation administrative
- L’affaire du Manidem est un cas d’école : l’État modifie la direction d’un parti d’opposition pour affaiblir sa cohérence et légitimer l’invalidation d’un candidat.
- Si ce précédent reste impuni, cela deviendra une méthode de contrôle des partis politiques gênants.
Ce que les médias et la société civile doivent faire maintenant
- Rompre le silence : Les propos du ministre ne doivent pas passer inaperçus. Ils doivent être analysés, relayés, critiqués publiquement.
- Exiger des comptes : La société civile camerounaise, les journalistes, les organisations panafricaines doivent demander des explications publiques sur l’affaire Manidem, sur les menaces contre les candidats, sur la préparation de l’élection.
- Documenter, archiver, dénoncer : Même sans pouvoir immédiat, raconter ce qui se passe est déjà un acte de résistance.
Conclusion : le pouvoir dit tout haut ce qu’il n’a plus besoin de cacher
Ce que révèle Atanga Nji, ce n’est pas un dérapage. C’est un aveu stratégique. Le système Biya n’a plus besoin de dissimuler : il agit au grand jour, sûr de son impunité. Mais dans chaque phrase de menace, il y a aussi un signal de faiblesse. On menace ce qu’on ne contrôle pas. On verrouille ce qu’on craint de perdre. La meilleure réponse à cela ? C’est la vigilance, la mobilisation citoyenne, et la mémoire collective. Car si l’élection est confisquée aujourd’hui, l’histoire, elle, ne l’oubliera pas.
Par la rédaction de Voix-Plurielles

