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Chefferies, “apolitisme” et contrôle du politique : sortir de la neutralité de façade

Au Cameroun, la chefferie traditionnelle occupe une place paradoxale. Institution millénaire, ancrée dans la culture et la mémoire des peuples, elle a été progressivement intégrée à la structure administrative de l’État depuis la fin des années 1970. Les chefs, désormais auxiliaires de l’administration, perçoivent un salaire public, dépendent d’un statut hiérarchisé et sont, de fait, liés à l’exécutif.

Pourtant, dans la tradition bamiléké, le chef est un rassembleur. Il incarne l’unité de ses sujets, au-delà des clivages partisans, et s’abstient publiquement de tout engagement électoral. Ses sujets sont divers, politiquement et idéologiquement. Mais ces dernières années, cette règle sacrée s’effrite.


Quand la neutralité devient conflit d’intérêts

L’actualité récente a vu des rois bamiléké apporter un soutien explicite à la candidature de Paul Biya. Certains siègent même comme sénateurs du RDPC, le parti au pouvoir. Dans les villages, cette posture se traduit parfois par des entraves à l’expression politique de l’opposition : réunions empêchées, affichages retirés, militants intimidés.

Face à ces dérives, ABC North America, fédération de la diaspora bamiléké aux États-Unis et au Canada, a publié un communiqué réaffirmant son “apolitisme” et annonçant que seuls les chefs “visiblement neutres” seraient invités à ses événements.

Mais il y a un problème : un chef salarié de l’État, investi dans un parti, peut-il se dire neutre ? Et une organisation culturelle qui se dit “apolitique” peut-elle vraiment rester silencieuse face à des atteintes aux droits fondamentaux de ses membres ? La frontière est mince entre non-partisanerie (ne soutenir aucun candidat) et neutralité passive (ignorer les injustices).


L’apolitisme strict : un leurre

L’apolitisme strict devient vite intenable pour trois raisons :

  1. Conflit d’intérêts : le lien financier et fonctionnel avec l’État incite à favoriser le pouvoir en place.
  2. Gel des libertés locales : la parole du chef pèse lourd, au point de réduire l’espace civique de ses sujets.
  3. Crédibilité en diaspora : tolérer la présence d’acteurs partisans dans un espace “culturel” s’apparente à de la complaisance, voire à de l’auto-censure.

Dans d’autres pays, comme au Ghana, la loi interdit aux chefs de faire de la politique partisane. Au Cameroun, faute de garde-fous, la chefferie devient parfois un outil d’instrumentalisation politique.


Le risque d’auto-censure dans la diaspora

Les organisations comme ABC ou LA’AKAM craignent :

Résultat : elles choisissent souvent le silence sur des questions politiques, au nom de l’“apolitisme”. Mais se taire sur les principes, c’est laisser l’espace culturel devenir un espace politique capturé.


Sortir de la neutralité de façade : un plan d’action

A. Des règles claires pour les chefs invités

B. Une ligne éditoriale assumée : “Non-partisans, pro-droits”

C. Des événements mieux structurés

D. Gouvernance et transparence

E. Protéger les voix réduites au silence

F. Plaidoyer de long terme au Cameroun


Un message clair à porter

“Nous sommes non-partisans mais pas neutres face aux droits fondamentaux. La culture rassemble : aucun espace culturel ne doit devenir tribune de campagne.”

Adopter cette posture exige courage, mais c’est la seule voie pour que nos institutions culturelles restent des lieux de cohésion, tout en protégeant la liberté de tous leurs membres.

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