Un contexte historique lourd
Depuis les années 1950, les Bamiléké portent la mémoire vive d’une répression brutale qui a marqué l’histoire du Cameroun. Le génocide, mené entre 1955 et 1971, visait à écraser toute résistance nationaliste et à réduire au silence une communauté perçue comme politiquement menaçante. Cet héritage douloureux alimente aujourd’hui encore des formes de Bamiphobie dans les discours et les pratiques de l’État. C’est dans ce contexte que les associations culturelles et mémorielles bamiléké ont vu le jour, non seulement pour préserver une identité culturelle, mais aussi pour lutter contre l’oubli et défendre la dignité collective.
La concurrence associative : entre fragilité et instrumentalisation
Comme nous l’avions déjà analysé, la multiplication d’événements et de structures aux objectifs proches entraîne des dynamiques contre-productives : dispersion des ressources, fragmentation du public, divisions internes. Le phénomène devient encore plus préoccupant lorsque l’État, conscient de ces fragilités, choisit de créer une association “camerounaise” qui, sous couvert d’inclusion, sert à encadrer et neutraliser la voix des organisations bamiléké autonomes. Officiellement non politique, cette structure supprime tout discours qui met en doute son indépendance vis-à-vis des moyens de l’État. Beaucoup y voient une tentative de domestication politique :
- marginaliser les associations qui dénoncent la Bamiphobie,
- placer les voix critiques en porte-à-faux, les accusant de séparatisme,
- absorber ou invisibiliser les initiatives existantes grâce à l’appui financier et institutionnel de l’État.
Les enjeux politiques actuels
Si une telle manœuvre est avérée, elle s’inscrit dans une logique de contrôle des contre-pouvoirs associatifs :
- Désamorcer la mémoire des massacres et la responsabilité de l’État.
- Fragmenter la diaspora, dont la mobilisation internationale constitue un enjeu diplomatique.
- Canaliser la jeunesse en lui offrant une vitrine culturelle “officielle”, dépolitisée et compatible avec la narration du pouvoir.
Beaucoup interprètent cette nouvelle structure comme une réponse directe aux tensions récentes, notamment après la décision de la All Bamiléké Convention de retirer l’invitation à certains chefs traditionnels accusés d’allégeance au président Paul Biya.
Peut-on être culturel sans être politique ?
Dans l’imaginaire collectif, une organisation culturelle se veut neutre, consacrée aux arts et aux traditions. Pourtant, en Afrique comme dans la diaspora, cette neutralité est une illusion. Préserver une culture, c’est affirmer une identité. Et affirmer une identité, c’est toucher aux rapports de pouvoir. Défendre la mémoire du génocide ou dénoncer la Bamiphobie est déjà perçu comme un acte politique. Ainsi, une association culturelle peut se dire “apolitique”, mais en réalité, toute culture devient politique dès lors qu’elle défend un droit d’exister.
Quelles pistes de résistance ?
- Renforcer l’unité inter-associative : dépasser les rivalités et créer une plateforme commune capable de parler d’une seule voix.
- Internationaliser le plaidoyer : s’appuyer sur les réseaux académiques, médiatiques et militants à l’étranger.
- Mettre en valeur la spécificité culturelle : diversifier les formats (arts, numérique, éducation) pour se démarquer et attirer le public.
- Former les leaders : développer les compétences en gouvernance et communication stratégique pour éviter la cooptation.
Conclusion
La situation actuelle montre combien la concurrence associative peut devenir un talon d’Achille lorsque l’État l’exploite pour affaiblir une communauté. Mais elle révèle aussi l’urgence d’une vision collective et d’une solidarité renouvelée. Pour les Bamiléké, comme pour d’autres peuples en lutte pour la mémoire et la justice, l’union reste la meilleure arme contre l’effacement et la manipulation.



