Par Dr. Madiesse-Nguela | Voix Plurielles – juillet 2025

Les plages de Punta Cana sont belles. Terriblement belles.
Elles invitent au repos, à l’oubli, à la légèreté. On y arrive le cœur en quête de déconnexion, l’esprit prêt à savourer la douceur d’un cocktail tropical sous le bruissement régulier des palmiers.

Et pourtant.

Sous le sable fin de ces paradis balnéaires, sous les villas luxueuses et les forfaits tout-inclus, une mémoire enfouie se débat : celle des esclaves arrachés à l’Afrique, celle des rébellions noyées dans le silence, celle d’un peuple dont l’histoire a été maquillée à coup de marketing touristique.

L’amnésie organisée des lieux de souffrance

La République Dominicaine, comme sa voisine Haïti, est l’un des premiers territoires des Amériques à avoir été colonisé, exploité, christianisé au nom d’un ordre impérial brutal.
Punta Cana, aujourd’hui zone de loisirs, fut hier territoire de labeur forcé, de plantations sucrières, de déportations massives, de fuites d’esclaves et d’actes de résistance.

Mais sur les brochures touristiques, rien de tout cela.

Ni noms.
Ni visages.
Ni traces.
Seulement des slogans ensoleillés, des plages privatisées, des danseurs folklorisés et une “culture caribéenne” édulcorée.

Le passé est gommé. L’oubli est entretenu.

Le voyage comme outil de déconnexion… et de déshistoricisation

Le paradoxe du tourisme moderne réside ici : il nous invite à fuir le stress, mais aussi à fuir la mémoire.
Il nous sert l’exotisme sans le contexte. Le plaisir sans la conscience. La carte postale sans les pages d’histoire.

Comment ne pas interroger le fait que tant d’hôtels de luxe se soient bâtis sur d’anciennes terres de plantations ?
Que les communautés locales, souvent noires ou métissées, soient reléguées aux marges du développement ?
Que la main-d’œuvre touristique elle-même soit exploitée dans des conditions parfois proches d’une servitude contemporaine ?

Entre mémoire et marketing : quel récit voulons-nous préserver ?

Le silence autour de la mémoire coloniale dans des lieux comme Punta Cana est d’autant plus violent qu’il efface des siècles de luttes, de douleurs, de résistances.
En lissant l’histoire, le tourisme contribue parfois à reconduire une domination symbolique, où seuls les récits glorieux ou festifs sont tolérés.

Mais une autre voie est possible.

Des lieux de mémoire peuvent être restaurés.
Des circuits de “tourisme de mémoire” peuvent être proposés.
Des collaborations avec les communautés afro-descendantes peuvent émerger pour raconter toute l’histoire — celle du sucre et du sang, du rhum et des chaînes, de l’exil et des tambours.

Une conscience en voyage

Ce texte n’est pas un plaidoyer contre le voyage.
C’est un plaidoyer pour un voyage conscient. Un tourisme qui ne nie pas les mémoires invisibles.
Un appel à regarder ce que les brochures ne montrent pas.
Un acte de présence à l’histoire, même dans les lieux de détente.

Car voyager, ce n’est pas seulement fuir : c’est aussi rencontrer.
Et parfois, retrouver ce que nos ancêtres ont perdu — ou ce qu’on a tenté de nous faire oublier.


Et toi, que ressens-tu face à ces lieux de vacances au passé enfoui?
As-tu déjà voyagé là où tes ancêtres furent effacés?

About Author
Mə̂fò Nyàpgùŋ

Docteure en leadership organisationnel, éducatrice, poétesse, traductrice et militante des droits humains. Je dirige des projets autour de la mémoire collective, de l’engagement citoyen, de l’éducation multilingue et de la voix des femmes africaines dans l’espace public.

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