Par Voix Plurielles
“Le colonialisme n’a jamais quitté nos terres. Il a seulement changé de costume, de langue, et de passeport.”
— Aimé Césaire
Il y a un mal silencieux, sournois, qui ronge le Cameroun et empêche toute perspective de libération nationale : la tribalisation organisée du débat politique. Ce n’est ni une coïncidence, ni un héritage culturel. C’est un outil de domination, une arme stratégique, héritée du colonialisme et perfectionnée par la dictature néocoloniale.
Un peuple dressé contre lui-même
Au Cameroun, quand un citoyen est confronté à un problème chômage, insécurité, injustice, brutalité policière. Il est souvent conditionné à chercher un coupable dans son voisinage ethnique, jamais dans la structure du pouvoir.
Plutôt que d’interroger les institutions, les lois iniques, ou les décideurs eux-mêmes, on s’en prend au “Bamiléké trop ambitieux”, au “Beti qui protège le pouvoir”, au “Nordiste complice”, au “Sawa oublié”… Chacun devient le bouc émissaire de l’autre.
Or, ce réflexe n’est pas neutre. Il a été fabriqué, entretenu, raffiné depuis l’époque coloniale. Il s’inscrit dans une logique de « divide et impera » – diviser pour régner – instaurée d’abord par l’administration française pour briser l’unité des mouvements anticolonialistes (l’UPC, le Manidem, les syndicats). Puis reprise avec zèle par les régimes néocoloniaux.
Une démocratie piégée par l’ethnie
Aujourd’hui encore, cette mécanique reste à l’œuvre. Les candidats aux élections ne sont pas évalués sur la base de leur programme, de leur vision, de leur intégrité, mais d’abord selon leur origine tribale.
- Maurice Kamto ? « C’est le candidat des Bamilékés. »
- Paul Biya ? « Il est là pour les Betis. »
- Cabral Libii ? « Il divise le Sud. »
- Garga Haman ? « Il représente les musulmans du Nord. »
Cette lecture simpliste tue la politique. Elle empêche la constitution d’un front populaire transversal, fondé sur les intérêts communs ceux de la jeunesse, des femmes, des pauvres, des laissés-pour-compte.
Elle transforme les élections en guerre de tranchées communautaires, et la République en fédération de rancœurs.
Pendant ce temps, les colons et leurs vassaux prospèrent
La vérité crue est la suivante : la tribalisation profite uniquement au pouvoir en place et à ses soutiens étrangers.
Pendant que les Camerounais se déchirent entre tribus, Total rafle les hydrocarbures, Bolloré et autres contrôlent les ports, les milliards s’évaporent, et les enfants meurent faute de lits d’hôpital ou d’eau potable, même dans les régions d’où viennent les dirigeants.
Oui, le Sud ne vit pas mieux que le Nord, le Centre n’est pas épargné par la misère, le Grand Ouest croule sous le chômage, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest pleurent leurs morts, et le Littoral agonise sous la pression urbaine sans infrastructures.
Aucune ethnie n’a réellement bénéficié d’un régime qui n’a fait que piller, diviser et régner.
Les leçons de l’Histoire
Ce scénario n’est pas propre au Cameroun. Il a été appliqué en Rwanda, en Côte d’Ivoire, en RD Congo, et ailleurs.
Chaque fois, la division ethnique a été nourrie de l’extérieur, exploitée de l’intérieur, avec les mêmes conséquences : guerre civile, fracture nationale, dictature prolongée.
Mais des peuples se sont relevés. Parce qu’ils ont compris, à temps, que leur adversaire n’était pas le voisin, mais le système.
Appel à l’action : détribalisons notre conscience politique
Il est temps de rompre le sortilège.
Le changement ne viendra ni d’un Bamiléké, ni d’un Beti, ni d’un Haoussa, ni d’un Sawa. Il viendra d’un peuple debout, uni par la conscience, et non par l’ethnie.
Un peuple qui regarde les idées avant les origines.
Un peuple qui juge un dirigeant non à son nom, mais à son bilan et à sa vision.
Ce que vous pouvez faire dès aujourd’hui :
- Refuser les discours tribalistes, même dans les cercles privés.
- Lire et partager les programmes politiques des candidats.
- Créer des espaces de dialogue interethnique.
- Sensibiliser vos proches à la manipulation par l’ethnie.
- Soutenir les mouvements citoyens unificateurs.
« La patrie ou la mort… mais jamais l’ethnie ou l’oppression. »
Voix-Plurielles appelle chaque Camerounais, chaque Camerounaise, où qu’il ou elle se trouve, à déconstruire le poison tribal et à reconstruire l’unité populaire. Ce combat-là est la condition de toute alternance, de toute justice, de toute souveraineté.
La liberté ne viendra pas si nous restons divisés. Elle viendra quand nous comprendrons que le tribalisme est l’ultime rempart des dictatures.
1 Comment
Très belle investigation Dr. MADIESSE.
Les propositions faites pour surmonter ce fléau sont à la portée de tous.
De quelle manière peut-on implémenter les débats interethniques ?
Cordialement