Le 8 août 1914, à Ebolowa, tombait sous les balles d’un peloton d’exécution allemand un homme dont la trajectoire incarne les contradictions, les blessures et l’espérance du Cameroun naissant. Martin-Paul Samba, né Mebenga m’Ebono vers 1875, est l’une de ces figures complexes qui, par un retournement de destin, ont inscrit leur nom au panthéon des résistants africains face à l’ordre colonial.
D’un orphelin Bulu à officier allemand
Orphelin très tôt, Mebenga m’Ebono est confié à des proches et grandit à Kribi, alors port stratégique sous contrôle allemand. Repéré par les colons, il devient le protégé de l’explorateur Kurt von Morgan, qui l’envoie se former en Allemagne en 1891. C’est là qu’il est baptisé Martin-Paul Samba et qu’il sort, en 1894, diplômé de l’Académie militaire, capitaine de l’armée impériale.
À son retour au Kamerun, il participe, sous Hans Dominik, à de nombreuses expéditions militaires visant à “pacifier” l’arrière-pays, soumettant villages et peuples au joug colonial. Pour beaucoup de ses compatriotes, il devient alors un symbole de collaboration et de trahison.
La métamorphose : de l’auxiliaire à l’insoumis
En 1902, Samba démissionne de l’armée pour se lancer dans les affaires à Ebolowa. Les années qui suivent sont décisives : il observe les humiliations infligées aux femmes et enfants Bulu, constate les rivalités ethniques exacerbées par la politique coloniale, et s’alarme de la montée en puissance de chefs placés par les Allemands, tel Karl Atangana chez les Ewondo. Peu à peu, son regard change : l’officier formé à Berlin devient un chef Bulu soucieux de défendre l’honneur et l’autonomie de son peuple.
En 1912, il passe à l’action. Il s’allie à Rudolf Duala Manga Bell, autre figure majeure de la contestation, pour préparer une insurrection à l’échelle du territoire. Tandis que Manga Bell sollicite les Britanniques, Samba approche les Français pour obtenir des armes. En parallèle, il forme ses guerriers aux tactiques militaires et consolide un réseau de chefs alliés dans le sud du pays.
La trahison et le sacrifice
Mais la conspiration est éventée. Un informateur prévient les autorités allemandes, qui perquisitionnent et découvrent la correspondance incriminante ainsi que des stocks d’armes. En plein déclenchement de la Première Guerre mondiale, les colons allemands voient dans cette affaire un crime impardonnable : Samba est arrêté le 1er août 1914, jugé pour haute trahison avec ses alliés, et exécuté une semaine plus tard.
Un héritage nationaliste
La mémoire de Martin-Paul Samba est celle d’un homme en rupture avec son propre passé, capable de rompre avec ses anciens maîtres au nom d’une vision plus grande : un Kamerun uni, affranchi des humiliations coloniales.
Il ne fut pas un résistant dès sa jeunesse, mais un converti à la cause nationale par l’expérience, l’observation et l’indignation. Cette évolution le rend profondément humain, et son sacrifice, d’autant plus puissant.
Aujourd’hui, une statue à Ebolowa rappelle son nom, mais c’est surtout dans le récit collectif de la nation qu’il doit continuer de vivre. Car Samba incarne une vérité intemporelle : même ceux qui ont servi l’ordre oppressif peuvent choisir de se dresser contre lui, au prix de leur vie.
Hommage
Rendre hommage à Martin-Paul Samba, c’est refuser l’amnésie. C’est enseigner aux jeunes générations que la liberté a un prix, et que les héros ne sont pas toujours nés dans la rébellion, mais parfois forgés dans la douleur de voir son peuple écrasé.
Le 8 août doit rester une date de mémoire nationale, non seulement pour rappeler la fin tragique de ce chef Bulu devenu patriote, mais aussi pour méditer sur les chemins, parfois tortueux, qui mènent à l’engagement.
Martin-Paul Samba, ton nom ne s’éteindra pas.
Dans les collines du Sud, dans les voix qui réclament justice, et dans le cœur de ceux qui croient encore à un Cameroun libre, tu vis.
« La liberté exige parfois de renier son passé. Martin-Paul Samba a payé de sa vie pour que le Cameroun rêve encore. »

