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Cameroun : la double nationalité, privilège des uns, exclusion des autres ?

Par Dr. Adelaide Madiesse Nguela – Mə̂fò Nyàpgùŋ

À l’heure où le monde s’ouvre, où les diasporas deviennent des ponts stratégiques pour les nations, le Cameroun continue de tourner le dos à une réalité de son temps : la double nationalité. Officiellement non reconnue, elle reste pourtant une exception tolérée – voire protégée – pour certains privilégiés du régime.

Et c’est là que réside le scandale.

Une loi inégalement appliquée

Le Code de la nationalité camerounaise prévoit qu’un Camerounais perd automatiquement sa nationalité s’il en acquiert une autre. Mais dans la pratique, cette disposition est appliquée à la carte. Des ministres, députés, hauts responsables, souvent détenteurs d’un passeport étranger, continuent d’exercer en toute légalité. Leur double appartenance est connue, parfois même affichée. Rien ne les inquiète.

En revanche, qu’un opposant, un militant de la diaspora ou un intellectuel critique ose évoquer ses origines camerounaises, on lui rappelle aussitôt qu’il n’a « plus droit à la parole » au nom de sa double nationalité. Deux poids, deux mesures.

Une peur politique maquillée en souveraineté

Ce refus de reconnaître officiellement la double nationalité n’a rien à voir avec la souveraineté. Il s’agit en réalité d’un outil d’exclusion politique. Car les Camerounais de la diaspora, nombreux à avoir acquis une autre nationalité, ont vu fonctionner ailleurs des systèmes plus justes, plus transparents, plus responsables.

Et cette connaissance fait peur.

Ces citoyens réclament des comptes, dénoncent les abus, défendent la redevabilité. Ils ne sont pas faciles à manipuler. Le régime préfère donc les tenir à distance, non pas pour protéger la nation, mais pour préserver le statu quo.

Une injustice nationale, un frein au progrès

Comment justifier qu’un membre du gouvernement puisse être binational sans conséquence, tandis qu’un enseignant, médecin, entrepreneur ou juriste camerounais vivant à l’étranger soit privé du droit de voter, d’investir ou de se présenter à une élection ?

Dans une logique démocratique, cela s’appelle de la discrimination institutionnelle.

Alors que des pays comme le Sénégal, le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Mali ou la RDC reconnaissent officiellement la double nationalité, le Cameroun s’enferme dans une posture archaïque, coûteuse et injuste.

Le Cameroun a besoin de tous ses enfants

La diaspora camerounaise contribue activement à l’économie nationale via les transferts d’argent, les projets de développement, les investissements, les soins médicaux, l’éducation des familles restées au pays. Elle est aussi riche de compétences, de réseaux, de visibilité internationale.

Lui refuser le droit à une double appartenance, c’est amputer volontairement le pays d’un bras solide.

Une réforme urgente et vitale

Reconnaître la double nationalité, c’est :

mettre fin à une hypocrisie légalisée,

rétablir l’égalité des droits entre citoyens,

favoriser la réconciliation nationale,

mobiliser l’intelligence collective, où qu’elle se trouve.

Ceux qui brandissent la souveraineté pour la refuser oublient que le patriotisme ne se mesure pas au nombre de passeports, mais à l’engagement pour la justice, la liberté et la dignité.

Une question pour 2025 ?

Alors que s’annoncent de nouvelles échéances électorales, les candidats sérieux doivent s’engager à déclarer leur patrimoine et leur nationalité.

La transparence ne peut être exigée des électeurs si elle est refusée par ceux qui sollicitent leur confiance.

Il est temps d’en finir avec la loi du silence et du deux poids, deux mesures.

Le Cameroun a besoin de justice, pas de privilèges déguisés. Il a besoin de tous ses enfants, d’ici ou d’ailleurs, unis par le droit, non séparés par l’arbitraire.

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